Marcel Pagnol, dramaturge à succès est indissociable du cinéma. Il fut à la fois l'auteur et le réalisateur d’œuvres devenues des classiques, qui ont été adaptées pour le grand écran à de nombreuses reprises. Mais l'écrivain possède une particularité assez rare pour son époque, celle d'avoir participé très tôt à l'adaptation de plusieurs de ses œuvres à l'écran, dès les années 30, et d'être intimement lié à la production de ses films. Il fut l'un des premiers à croire au succès du cinéma parlant, allant jusqu'à créer sa société de production et ses studios à Marseille.
En 1961, la télévision diffusait le premier volet de sa trilogie marseillaise (Marius, Fanny, César), intitulé Marius. Un premier volet qu'il n'avait pas réalisé (il n'a réalisé que le troisième opus, consacré à César, en 1936, le second, Fanny, a été réalisé par Marc Allégret en 1932). Juste avant sa diffusion, Pierre Tchernia recevait l'écrivain-cinéaste pour évoquer ce film, réalisé par le metteur en scène britannique Alexander Korda avec, dans les trois rôles principaux, Pierre Fresnay (Marius), Orane Demazis (Fanny) et Raimu (César). Le film est l'adaptation de la pièce de théâtre éponyme jouée au Théâtre de Paris en 1929.
Le synopsis de Marius
Sur le Vieux-Port de Marseille, Marius travaille dans le bar de son père César, « le Bar de la Marine ». Mais son rêve à lui, c'est de devenir marin et d'embarquer pour de lointaines destinations. Il est tenaillé entre l'appel du large et son amour pour Fanny. Mais peu avant leur mariage, le jeune homme embarque sur « La Malaisie » qui va prendre la mer. Devant cette passion, Fanny se sacrifie, le laisse partir et va cacher pour un temps le départ de son fils à César…
Au début de l'interview, Pagnol revenait sur le tournage du film qui s'était déroulé dans les studios de la Paramount à Joinville, en 1931. Il évoquait aussi la version américaine de Fanny tournée par Joshua Logan à Marseille, avec une distribution française (Charles Boyer, Leslie Caron et Maurice Chevalier).
Pierre Tchernia lui demandait si cela ne le choquait pas que ses personnages marseillais deviennent américains ? Pour lui, pas d'équivoque : « Je suis très heureux que vous me posiez traîtreusement cette question parce que vous me donnez l'occasion de répondre à un certain nombre de correspondants qui m'ont fait l'honneur de m'envoyer un certain nombre de lettres d'injures, à la pensée que j'autorisais une mutilation de Marius. Ils ne pensent pas qu'on puisse le tourner en anglais. Je tiens à les rassurer tout de suite : ça a déjà été fait… en 1936 et en allemand… en italien… en suédois. On l'a fait dans un certain nombre de langues. Après tout, qu'est-ce que ça peut faire si les gens d'un pays mettent un ouvrage au goût de leur public ? Ils ne détruisent pas pour ça l'ouvrage français. »
La genèse théâtrale de Marius
Marcel Pagnol poursuivait en rappelant l'origine théâtrale de Marius : « J'avais fait cette pièce pour Marseille. Je ne pensais même pas qu'on pourrait la jouer à Paris. Je l'avais écrite pour le théâtre de l'Alcazar, dirigé par Franck. Il m'a appelé pour me dire : "tu es un imbécile, il faut la faire jouer à Paris." Je l'ai porté à Simone Volterra (l'épouse de Léon Volterra, directeur entre autres du Casino de Paris et du théâtre de Paris.) C'est comme ça que l'œuvre est créée au théâtre de Paris le 9 mars 1929… »
Contrairement à l'idée reçue, il n'avait pas écrit le rôle de César (le père de Marius) pour Raimu, pensant plutôt pour lui au rôle de Panisse. « Parce que c'était le rôle du vieil amoureux et que Raimu était capable de jouer ce rôle de vieil amoureux, d'un certain âge, comme il l'a fait plus tard dans "La femme du boulanger". Mais Raimu n'a pas voulu jouer le rôle de Panisse pour une raison extravagante. Il m'a dit : "je veux être le propriétaire du bar. Ce n'est pas monsieur Raimu qui va rendre visite à monsieur Charpin (qui jouera Panisse, le maître voilier amoureux de Fanny) mais c'est monsieur Charpin qui doit venir chez monsieur Raimu. " Cette raison était stupide et pourtant je crois qu'il avait raison, car il a été absolument génial dans ce rôle, qui était celui d'un comparse, qui n'était pas très important. On pourrait le couper et il resterait quand même l'histoire de la pièce. »
La partie de cartes, une scène qui ne devait pas exister...
Marcel Pagnol dévoilait ensuite une anecdote inattendue à propos de la fameuse partie de cartes, qualifiée de « morceau de bravoure » par Pierre Tchernia… Pagnol revenait sur la pièce de théâtre.
"La partie de cartes, je voulais la couper et Volterra ne la connaissait pas. On a répété pendant deux mois sans la partie de cartes parce que je trouvais que c'était un sketch et que j'avais à ce moment-là des théories très sévères sur l'art et le théâtre. Et puis, Raimu a dit à Volterra un beau jour : « Il parait qu'il y a une partie de cartes, un sketch extraordinaire dedans et que j'aimerais beaucoup jouer." J'ai été obligé de montrer la partie de cartes à Volterra et on l'a introduite à l'avant-dernière répétition. »
Pierre Fresnay, un Marseillais plus vrai que nature !
Les deux hommes évoquaient ensuite la performance de Pierre Fresnay, qui n'était pas Marseillais, mais Alsacien ! « Lorsqu'on lui a proposé le rôle, il est parti à Marseille et y est resté un mois. Il s'y est établi en Marius, avec un petit foulard autour du cou, un petit chapeau de paille et il est revenu avec l'accent marseillais au bout de quinze jours. C'est l'acteur le plus adroit que je connaisse, indépendamment de son talent qui est très grand. » Ce film avait la particularité d'être l'un des premiers films sonores, après « "Jean de la Lune" qui a été pour moi le véritable premier film parlant où l'on parlait vraiment. Avant, il n'y avait que des films avec des bruits de cuillères, des bruits de journal. Ils appelaient d'ailleurs ça des films sonores. Et Marius a été à cette époque un film 100% parlant. Le film a été tourné par les Américains, au studio Paramount, à Joinville, que Bob Kane dirigeait à cette époque-là. »
La réalisation du film fut confiée à un réalisateur anglais. « C'est Alexander Korda qui est venu de Hollywood pour tourner Marius. D'ailleurs Raimu était furieux. Il disait "ils ont fait venir un Tartare d'Hollywood pour tourner un film marseillais. Et puis, il est devenu un très grand ami de Raimu, dès le premier jour de tournage. Parce que l'ingénieur du son est sorti de sa cabine et a dit : "on ne peut pas enregistrer la voix de monsieur Raimu." Et alors Korda lui a dit : "monsieur, c'est bien dommage pour vous, parce que Raimu, on ne peut pas le changer, mais vous, on peut vous changer. Et il l'a mis à la porte ! ».
Pour aller plus loin :
Panorama : Marcel Pagnol explique dans quel contexte il a écrit la trilogie. (Vidéo, 1965)
Orane Demazis évoque la trilogie marseillaise de Pagnol (Audio, 1943)
Marcel Pagnol dresse le portrait de Raimu (Audio, 1950)