7 heures du matin, ce 13 février 1960, la France s'apprête à réaliser son premier essai nucléaire. Dans la base de Reggane, en plein cœur du désert algérien, 1 200 km d'Alger, "Gerboise bleue", c'est son nom, est placée en haut d'un pylône de 100 mètres.
Ce petit rongeur des sables est en fait une bombe au plutonium qui s'apprête à exploser. Sa puissance de 70 kilotonnes équivaut à trois à quatre fois celle d'Hiroshima. L'explosion est déclenchée à 7h04 et génère une gigantesque déflagration qui illumine le ciel. Au sol, la chaleur est telle qu'elle vitrifie le sable dans un rayon de 300 mètres.
Ce matin-là, les conditions météo sont excellentes et les vents bien orientés doivent limiter la propagation des poussières en les dispersant en haute altitude.
Si des caméras filment l'événement, peu d'images filtreront dans les médias d'alors. C'est d'ailleurs ce que déplorent les Actualités françaises dans ce reportage diffusé dans les salles de cinéma. C'est finalement à la radio que sera diffusé le plus long reportage sur l'événement.
"Certes, on pourra déplorer la pauvreté des images qui nous ont été fournies sur l'explosion dont on ne verra qu'un panache de fumée".
On sent cependant la fierté poindre dans le ton de la voix du speaker : "Cela ne retirera rien au fait. Seule, avec ses propres moyens, la France a fabriqué seule sa bombe."
La suite du reportage se contente de relater, en images, l'historique de la réalisation de la bombe avec les gisements d'uranium et de décrire le site de Marcoule pour expliquer ensuite toute la mise en place de la base de Reggane [créée pour la circonstance] et tout le dispositif d'allumage au point zéro.
Avec cette explosion, la France rejoint les trois autres possesseurs de la bombe à l'époque : les USA, l'URSS et la Grande-Bretagne.
Rassurer les alliés
Cet autre reportage, diffusé le soir-même, retrace l'historique de la bombe A et de la bombe H dans le monde, jusqu'à l'expérience française.
Première bombe atomique française
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Il présente aussi l'intervention de Jules Moch à l'ONU [Le délégué de la France à la Commission du désarmement de l'ONU de 1951 à 1960] justifiant le choix du Sahara pour les essais français : "Le Sahara se prête mieux que toute autre région à ces essais parce que le site choisi est à la fois désert et beaucoup plus proche que les atolls de la France…" [Les accords d’Evian qui mirent fin à la guerre d’Algérie, en mars 1962, contenaient des clauses secrètes autorisant une présence française dans le désert du Sahara algérien jusqu'en 1967].
Le ministre veut alors rassurer la communauté internationale sur les risques encourus sur les populations voisines des futurs essais français, en soulignant que les habitants des villes des "Etats voisins du Sahara : Maroc, Tunisie, Libye, Soudan, Ethiopie, Ghana… courront moins de dangers que les habitants de la Californie et de la Sibérie qui n'en coururent aucun lors d'expériences plus nombreuses."
Des retombées radioactives critiquées par la communauté internationale
La communauté internationale va s'émouvoir de ces essais et les pays riverains dénoncer une augmentation de la radioactivité. Des critiques démenties plus tard par autorités françaises. Le 20 février 1960, face au tollé de protestations à l'étranger, à propos des retombées radioactives, Fernand Lot interviewe sur Paris Inter le général Charles Ailleret, responsable de cet essai, commandant inter-armées des armes spéciales à propos des deux sortes de retombées radioactives et des risques : "Nous n'avons pas à nous inquiéter de cette pincée supplémentaire, négligeable, de radioactivité lointaine, que nous introduirons dans le monde".
Le général de Gaulle, "SAV" de la bombe "A"
Le 26 février suivant, quelques jours avant un second essai, le général de Gaulle assure lui-même "l'après-vente" de cet essai contesté. Au cours du deuxième jour de son voyage officiel dans le sud-est de la France, à Narbonne, le président prononce un vibrant plaidoyer pro-nucléaire dans lequel il tourne ouvertement en ridicule l'opposition aux essais.
"Il faut que la France soit debout à l'égard de ses amis... Il faut avoir des alliés et la France d'ailleurs donne l'exemple de sa fidélité à ses amis et à ses alliés. Mais il ne faut pas avoir des protecteurs, [il est applaudit] c'est la raison pour laquelle, la France, avec ses moyens et sans outrecuidance a cru devoir entrer dans la voie qui lui procurera l'armement, il faut bien le dire, nécessaire pour être elle-même. En même temps, elle fait ainsi la démonstration de son propre progrès scientifique et technique et ce n'est pas monsieur le ministre chargé de l'énergie atomique, chargé aussi de la recherche scientifique et ici présent qui démentira. C'est une démonstration que la France a faite de ce qu'elle vaut. Elle ne veut pas le faire, bien entendu, pour menacer personne et certains clans plus ou moins hystériques qui nous accusent de vouloir, avec une 200ème expérience, alors qu'ils n'ont rien dit pour les 199 précédentes, [il est applaudit] qui nous accusent de vouloir empoisonner l'humanité. Ceux-là, nous leur opposons, bien entendu, qu'une vaste ironie. Mais il faut que la France prenne conscience de ce que cela vaut pour elle et de ce que cela lui donne de force, pour entrer plus avant encore, dans les grandes délibérations, d'où je le crois, et je le veux, sortira la paix du monde." [Il est applaudit]
Discours du général de Gaulle à Narbonne
1960 - 03:51 - vidéo
Au total, la France effectuera en Algérie 57 expérimentations et essais nucléaires entre 1960 et 1966. Six ans après "Gerboise bleue", la France fera exploser sa première bombe H (thermonucléaire) à Mururoa en Polynésie (Mururoa). Après plus de 200 essais nucléaires, Jacques Chirac relancera une campagne d'essais après son élection présidentielle en 1995... avant d'annoncer, sous la pression, un arrêt définitif le 29 janvier 1996. Quant aux retombées radioactives et à leurs conséquences évoquées à l'époque, il faudra attendre les années 2000 avec le long combat de vétérans des essais victimes de cancers et 2013, avec la déclassification des documents pour découvrir l'ampleur des retombées radioactives. Bien plus importantes que celles données à l'époque, elles s'étendirent sur toute l'Afrique de l'Ouest jusqu'au sud de l'Europe.
Pour aller plus loin
L'explosion à la radio. (13 février 1960, Paris Inter)
Dans la rue, après les essais, les avis des badauds interrogés sont mitigés, certains souhaitant que les hommes se montrent sages et que ces essais apportent plus de bien que de mal…
Opinion bombe A
1960 - 02:29 - vidéo