Quelques jours après l'attentat au commissariat de Rambouillet, Gérald Darmanin a présenté mercredi 28 avril 2021 un projet de loi qui entérine et renforce des mesures déjà expérimentées en matière de renseignement et d'antiterrorisme dans la loi antiterroriste d'octobre 2017. Parmi les points principaux, il y a l'assouplissement des "visites domiciliaires" (perquisitions) de personnes soupçonnées de menace terroriste, l'augmentation de la surveillance judiciaire après sortie de prison, la fermeture administrative de lieux de culte suspects. Il y a aussi la pérennisation de l'usage des algorithmes, introduit à titre expérimental dans la loi renseignement de 2015, qui permettent le traitement automatisé des données de connexion pour détecter les menaces.
Toutes ces mesures sont très éloignées de ce qui était mis en place au début des années 1990. Une époque où le gouvernement commençait à peine à légaliser les écoutes téléphoniques. Le 25 mai 1991, Henri Nallet, le ministre de la Justice, présentait son projet de loi de réglementation en Conseil des ministres. Le texte visait alors à interdire les écoutes sauvages et à limiter la commercialisation des matériels d'écoute. Il fixera un cadre plus restrictif pour les écoutes judiciaires et fera entrer dans le droit les écoutes dites "administratives". La loi allait être votée le 10 juillet 1991.
Pour l'occasion, la télévision était autorisée à pénétrer pour la première fois dans le sein des seins des écoutes, dans les locaux du GIC (Groupement Interministériel de Contrôle). Un lieu hautement secret et directement contrôlé par Matignon et le Premier ministre. Ce centre ultra-sensible est alors installé rue de la Tour Maubourg, à Paris, dans le sous-sol très protégé de l'hôtel des Invalides. Un grand couloir débouche sur la salle des "grandes oreilles" du gouvernement. C'est là que s'effectue toutes les écoutes. De larges façades remplies d'enregistreurs à cassettes audio se succèdent en rangées ordonnées. "Ici on écoute, on enregistre, on transcrit les conversations téléphoniques sous surveillance, pour les besoins de la justice, pour les besoins de la sécurité nationale. La PJ bien-sûr, sécurité militaire, DGSE, DST, renseignements généraux… tous les services secrets utilisent ces installations". Parmi le millier d'écoutes, précise le journaliste : "Pas un journaliste, pas un avocat, pas un syndicaliste, ni homme politique, le GIC a sa déontologie ! "
Traces numériques
Cette surveillance provoque des réactions mitigées. Il y a les pour, parmi eux, Michel Poniatowski (ancien ministre de l'Intérieur) et membre de la commission de surveillance mise en place par la loi. Il réclame encore plus de surveillance : "Il y a finalement peu d'écoutes téléphoniques, peut-être n'y en a-t-il pas assez pour lutter contre la criminalité. Moi je pense que dans la lutte contre la drogue, on pourrait aller plus loin dans le contrôle, la recherche, y compris la recherche par écoute téléphonique".
Le 13 juin 1991, lorsque le projet de loi arrive l'Assemblée, les "contre" se font entendre . Ce juge en appelle à la raison d'Etat : "On ne peut légiférer sur ce qui relève du secret d'Etat sauf à faire semblant de le faire. Il est invraisemblable que les renseignements généraux ou la police s'accommodent d'un contrôle".
Deux ans après le vote de la loi du 10 juillet 1991, la Commission Nationale de contrôle des interceptions de sécurité publiait son premier rapport. Elle précisait qu'il y avait eu 9000 écoutes en France l'année précédente.
L'utilisation des algorithmes dans le projet de loi antiterroriste de 2021 dépasse les capacités des "grandes oreilles" d'autrefois. Avec le développement des réseaux sociaux, de la cybercriminalité, l'arsenal des outils de surveillance est amené à évoluer en permanence pour pister et repérer des individus de plus en plus isolés, et parfois uniquement repérables grâce à leurs traces numériques. Le ministre Gérald Darmanin l'a rappelé mercredi 28 avril : "Sur les 35 attentats déjoués sur le territoire depuis 2017, il y en a eu 2 déjoués grâce aux traces numériques. Les terroristes passent totalement par Internet, quand nous continuons à surveiller des lignes téléphoniques normales que plus personne n’utilise", a-t-il dit sur France inter.
Le texte élargit également la possibilité d'obtenir l'aide des opérateurs de communications électroniques et porte à deux mois la durée d'autorisation de recueil de données informatiques.
Florence Dartois
Pour aller plus loin :
La loi antiterroriste de 2015
19/20 de F3 : projet de loi antiterroriste : débat entre deux figures du monde judiciaire. Pour ou contre. (27 septembre 2017)
Grand Soir 3 : vote de la loi antiterrorisme. (3 octobre 2017)
Loi antiterroriste et droits de l'Homme
20h00 de F2 : l'impact des lois antiterroristes sur nos libertés individuelles. (24 mai 2017)
19/20 de F3 : état d'urgence : inquiétude sur le respect des droits de l'Homme. Reportage consacré à l'inquiétude suscitée par le projet de loi anti-terroriste, qui selon les magistrats pourrait porter atteinte aux droits de l'Homme. (9 juin 2017)
L'invité d'Inter Patrice Spinosi, avocat de la Ligue des Droits de l'Homme, pour parler des dispositions de l'état d'urgence qui seraient inscrites dans le droit commun et réponses aux questions des auditeurs. (Radio filmée, 13 juin 2017)
L'invité de 8h20 : le grand entretien. Patrice Spinosi revient sur les propos de François Sureau concernant le recul des libertés individuelles. Il considère que chaque recul est définitif. "Il y a un recul des libertés en France, nous sommes en train de dilapider notre capital des libertés et il n'y a pas de retour en arrière à chaque fois que l'on rogne sur les libertés (...) Tout est sacrifié au profit d'une efficacité de répression". (14 janvier 2020)