En 1973, dans l'émission Morceaux de bravoure, François Truffaut expliquait pourquoi il avait choisi Jean-Pierre Léaud pour incarner ses personnages d'amoureux dans ses films.
"Faire des films avec Jean-Pierre Léaud, c'est encore un peu faire des films sur l'enfance."
"Ce n'est pas l'homme fort, ce que les Sud-Américains appellent "le macho", vous voyez comme Lino Ventura. C'est un garçon un peu anachronique, un peu timide aussi et qui est lié avec l'adolescence. Faire des films avec Jean-Pierre Léaud, c'est encore un peu faire des films sur l'enfance. On a l'impression que ce qu'il fait sur l'écran, il le fait pour la première fois. Et à travers un film comme Baisers volés, le film donnait l'impression d'une sorte d'éducation sentimentale. Moi ça m'a amusé de créer une scène tout à fait imaginaire, un épisode tout à fait imaginaire, mais qui est en même temps un rêve de tout adolescent, celui de la séduction d'une femme mariée. Je crois que c'est une situation très rare dans la vie mais à laquelle tous les adolescents ont rêvé de se trouver, dans leur petite chambre de jeune homme, avec la femme de leurs rêves qui frappe à la porte."
"Baisers volés, c'est un regard qu'on jette sur le passé..."
En 1975, à l'occasion de la diffusion de son film à la télé, le cinéaste, en plein tournage d'un autre film juvénile, L'argent de poche, revenait sur cette comédie de 1968. Une comédie, née de son envie d'entourer son personnage principal de nombreux personnages : "J'avais la volonté de faire un film dans lequel on suivrait Antoine Doisnel, personnage créé par Jean-Pierre Léaud dans Les 400 coups, mais qui serait entouré par de nombreux personnages, l'occasion de donner de très bons rôles à de nombreux acteurs…"
Il poursuivait : "Quand on commence un film, on ne sait pas toujours si ce sera un film gai ou triste. Si ce sera un mélange, et dans le cas où ce sera un mélange comme Baisers volés, on ne sait pas non plus ce qui dominera à l'arrivée. Il y a des gens qui l'ont reçu comme un film très triste, d'autres comme très gai. Ça dépend du moment où on en est dans sa vie, de ses problèmes sentimentaux. Puisque les problèmes sentimentaux ont un grande importance dans le film. C'est un regard qu'on jette sur le passé, Baisers volés."
Parmi les autres aspects qu'il voulait aborder dans ce film, il y avait celui des détectives privés français qui sont "de l'artisanat par rapport aux Américains et c'est cet angle un peu dérisoire et charmant qui m'a tenté. Montrer comment fonctionne une agence de détectives privés dans une ville française."
"Au moment des 400 coups... Antoine Doisnel sur le scénario, c'était moi."
A la question "Antoine Doisnel c'est François Truffaut ?, le réalisateur répondait : "Au départ, au moment des 400 coups, certainement. Antoine Doisnel sur le scénario, c'était moi. Et puis, pendant que le film se tournait, c'est devenu pas mal Jean-Pierre Léaud… et ensuite, c'est devenu entre lui et moi, une sorte de synthèse de nous deux, une sorte de personnage composite."
"C'est presque un fils pour moi"
En avril 1968, dans Madame Inter sur France Inter, François Truffaut parle du tournage de son film : La tristesse de fin de tournage. Sa fidélité aux techniciens et aux interprètes. L'écriture du scénario qui relate la chronique des aventures d'un jeune homme qui sort du service militaire. Sa façon de travailler avec les comédiens : "On a beaucoup improvisé au tournage. On s'est beaucoup amusé".
A propos de Jean-Pierre Léaud qu'il connait depuis 10 ans (Les 400 coups), il avoue avoir une affection particulière pour lui : "Je l'ai vu grandir. Je l'ai connu à 13 ans. Je l'ai suivi tout du long. Il est vraiment comme ma famille... C'est presque un fils pour moi. Je sais à peu près d'avance comment il va jouer les choses. Je me suis amusé à les concevoir pour lui et il les joue de la manière dont je l'espérais. J'ai une grande complicité si vous voulez." (Audio)
A propos du film lui-même...
"Je ne rêve pas d'Hollywood."
Toujours en 1968, à l'occasion de la sortie du film François Truffaut, évoquait son plaisir de réaliser en s'amusant. "Je fais partie des sept ou huit [réalisateurs] qui ont la chance de pouvoir choisir leurs films et choisir les conditions dans lesquelles ils les font. Je ne rêve pas d'Hollywood. Je rêve de faire des films dans ma langue maternelle car les dialogues sont très importants. Un peu comme dans ce film-là, avec les acteurs, en tournant, en s'amusant."
"C'est une volonté à travers le film que tout soit dit indirectement... Le film est gros, il est simple, il est élémentaire. Il est fait avec des choses énormes… et je pensais que c'était moins choquant de faire des choses aussi énormes, si on les amenait par ricochet tout le temps…"
Quant au scénario, il expliquait : "Il était composé d'éléments gais et tristes mais tirant sur la tristesse… pour moi l'idéal serait d'avoir autant d'éléments drôles que d'éléments tristes et je me suis aperçu avec le travail d'improvisation que quand un film avait autant d'éléments drôles que tristes, à l'arrivée, il était plus triste que prévu… aucun des films que j'ai fait n'aurait dû être aussi triste et ça m'a influencé au moment de Baisers volés. J'ai décidé de partir de tout ce qui était sur le scénario qui était purement comique et les choses tristes sont venues s'ajouter en cours de tournage, si bien qu'on est arrivé à ce dosage que je cherchais depuis longtemps de 50/50."
Pour aller plus loin
En 1990, Claude Jade racontait ses souvenirs du tournage de Baisers Volés et de la complicité entre François Truffaut et Jean-Pierre Léaud.
"Ce n'était pas un obstacle, c'était plutôt une aide. j'avais l'impression de tomber dans une famille. Et Jean-Pierre et François m'ont énormément aidé. Elle raconte ensuite que ce qui l'a étonnée c'est que Truffaut lui ai demandé de ne pas jouer. A l'époque, Truffaut était très occupé à défendre le poste d'Henri Langlois à la Cinémathèque car André Malraux voulait l'évincer. De ce fait, il ne venait pas toujours au dérushage, leur laissant beaucoup de liberté. "On s'amusait beaucoup. C'était un petit miracle."