L'ACTU.
Le 6 août 1985, l’animateur vedette de «La chasse au trésor» disparaissait lors d'une expédition sur le fleuve Zaïre. Avec lui, six autres compagnons de rafting connurent le même sort. L'affaire n'a jamais été résolue et plus de 35 ans après, cette disparition reste mystérieuse : était-ce un simple accident, une bavure militaire ou une histoire d'espionnage ? Le neveu de l'animateur a porté plainte vendredi 3 février, permettant ainsi la réouverture de l'enquête, selon une information de RTL.
Début juillet 1985, l'expédition « Africa raft » de Philippe de Dieuleveult prenait le départ pour une descente du fleuve Zaïre, l'un des fleuves les plus périlleux au monde avec une succession de rapides et de chutes. Les aventuriers étaient embarqués sur deux bateaux pneumatiques pour un périple de 2700 kilomètres à travers l'Afrique équatoriale quand ils disparurent. Retour en archives sur ce drame.
LES ARCHIVES.
« Notre ami Philippe de Dieuleveult a disparu au Zaïre. » Le 10 août, Antenne 2 Midi consacrait un long sujet à la disparition du journaliste et de six de ses amis. Le sujet commençait par des images du célèbre jeu qu'il animait : La chasse au trésor. Puis, le présentateur Paul Amar recevait l'un des participants de l'expédition, Marc Gurnaud, rentré quelques jours plus tôt. « Ce n'était pas une mission impossible, mais difficile, précisait-il. C'est avant tout une aventure, un groupe de six à huit personnes qui avaient décidé de vivre cette aventure. Moi, je suis rentré pour des raisons professionnelles. »
Paul Amar lui demandait de montrer, sur une carte placée à côté de lui, où se trouvaient les aventuriers à son départ et ce qu'ils planifiaient de faire. Il expliquait que d'après lui, ils se trouvaient dans la région de Matadi, près du port, sur l'embouchure du fleuve Zaïre, à l'endroit où il se jette dans l'Atlantique. « Ils sont dans cet endroit où la région est extrêmement montagneuse. Il y a beaucoup de barrages, beaucoup de rapides et beaucoup de chutes. C'est un coin très, très délicat. C'est une région très difficile d'accès, s'ils sont perdus quelque part et cela va être très difficile de les localiser, car les moyens d'accès dans ce pays sont très, très difficiles. »
Pourquoi ils ne donnaient-ils aucune nouvelle à son avis ? « Chaque bateau est équipé d'une radio de faible puissance. Ils ont abandonné à Kinshasa un poste de plus forte puissance qui nous permettait d'être en relation tous les jours avec Paris. C'était une règle d'or dans l'équipe, tous les jours à 20h00 on avait une liaison. »
La thèse de l'accident
Paul Amar l'interrogeait alors leur état d'esprit et leur conscience du danger. « Oui, mais si vous voulez, ce sont des gens raisonnables. Il y avait à bord un médecin, un spécialiste mécanique, un spécialiste transmission, un spécialiste navigation, des vivres, de quoi boire de l'eau potable. Aucun problème ! C'était une aventure dangereuse certes, mais tout à fait maîtrisable. »
Quant à la résistance des embarcations, « ce sont des prototypes, des cata-rafts, des gros radeaux pneumatiques : 8 mètres de long, 3 mètres de large, une grosse structure métallique. Pour couler ça, il faut vraiment un très, très gros accident. Ce qui me fait penser qu'il n'y a pas eu de choses trop graves, c'est que nous avions deux tonnes de matériel à bord, dans des emballages étanches. S'il y avait eu le moindre incident, on aurait retrouvé quelque chose. Parce que ce matériel aurait flotté et serait arrivé sur l'Atlantique. Et, là, quelqu'un aurait trouvé quelque chose. » Sur le motif de l'expédition, il conclut : « l'aventure d'une bande de jeunes qui en ont un peu marre de la grisaille de Paris. »
« Ces images, les toutes dernières, ont été tournées la vieille et le jour où les 7 hommes ont disparu. Ils sont déjà dans une partie du fleuve Zaïre où personne n'est jamais passé. » Le 15 août, les recherches continuaient sur place. Le journal de 20h d'Antenne 2 diffusait, dans l'archive ci-dessous, des images tournées la veille de la disparition par une caméra fixée sur le bateau de Philippe de Dieuleveult. « Seul l'Amazone est plus puissant. » Les 7 hommes apparaissaient secoués, au milieu du courant.
Le lendemain, le 16 août, on apprenait qu'un pêcheur zaïrois avait aperçu dans le fleuve un corps, celui d'un européen avec un casque blanc, tel que celui porté par les membres de l'équipage. Sur le plateau, Jean-Louis Amblard, membre de l'expédition commentait cette information. Lui, a quitté le groupe avec un autre compagnon, le matin même de la disparition.
Dans Antenne 2 midi, Noël Mamère précisait, « cette information, qu'il faut prendre encore sous toutes réserves, semblerait confirmer la thèse de l'accident que nous évoquions déjà hier soir. Nous avons avec nous pour commenter ce dramatique accident Jean-Louis Amblard, qui faisait partie de l'expédition. Jean-Louis, vous avez abandonné l'expédition quelques minutes seulement avant les terribles chutes d'Inga où il y à peu près 45 mille mètres cubes secondes de débit d'eau, et vous avez quitté cette expédition un quart d'heure à peu près avant que le témoin américain ait vu une embarcation disparaître dans les eaux, dans les chutes d'eau. Quelle est votre hypothèse maintenant après l'information supplémentaire que nous venons de recevoir ? »
Jean-Louis Amblard confirmait : « J'ai effectivement quitté l'expédition au moment où ils sont repartis le mardi matin vers 8h30 et le témoignage de l'Américain date du mardi 9 heures. Ce qui correspond tout à fait à la thèse de l'accident. Du moins en ce qui concerne le premier bateau. Il y avait quatre personnes. Sur ce bateau, il y avait un Portugais qui s'appelait Nelson Bastos, il y avait un Belge de Bujumbura qui s'appelait Guy Collette, il y avait un photographe de Paris-Match, Richard Jeannelle, et le commandant de l'expédition, il s'appelait André Hérault. »
Noël Mamère commentait les images tournées juste avant l'arrivée sur les chutes d'Inga, « la personne qui est dans le cercle, c'est Philippe de Dieuleveult qui est en train de tourner. Une caméra fixe est en train de vous prendre sur le raft, sur le bateau pneumatique, tandis que Philippe tourne des images de ce moment dangereux. »
Le journaliste revenait sur la défection de Jean-Louis Amblard, au matin du drame : « Vous avez abandonné l'expédition parce que vous avez eu peur, parce que vous avez considéré que franchir ces chutes était trop dangereux ? »
« Non, j'ai abandonné. On a abandonné puisque j'ai un autre camarade qui est resté avec moi. Nous avons abandonné l'expédition parce que les chutes d'Inga, ce ne sont pas des chutes, les rapides d'Inga sont très impressionnants. Nous avions passé l'après-midi du samedi à faire des reconnaissances. Il y a eu deux tests pour passer ces rapides. Certains pensaient qu'on pouvait passer à droite, c'est-à-dire les éviter. Moi, je soutenais la thèse inverse, à savoir que compte tenu du courant, il était impossible de les éviter et qu'on allait se retrouver en plein milieu. Malheureusement, quand ils sont partis, c'est ce qui s'est passé. »
À ce moment-là, l'espoir de retrouver les hommes était encore vif, le journaliste décrivait la situation : « Donc, l'un des bateaux aurait disparu corps et biens. Si la thèse qui est indiquée par le pêcheur zaïrois est la bonne. Mais l'autre bateau est celui dans lequel se trouvait Philippe et deux autres Français. Celui-là, on l'a retrouvé vide, ce qui signifierait que Philippe et ses deux autres amis sont perdus dans la forêt. »
Jean-Louis Amblard faisait le point sur les faits qu'il connaissait : « on a retrouvé les deux bateaux. Le bateau, où il y avait quatre personnes a été retrouvé sans rien dessus. Mais en faisant des enquêtes dans les villages, on a retrouvé l'essentiel du matériel qu'il y avait sur le bateau. On a retrouvé aussi les flotteurs qui avaient été découpés par des pêcheurs. On a retrouvé le pêcheur dans le bateau. A priori, d'après les témoignages des pêcheurs, le bateau aurait été retrouvé à l'envers, ce qui va dans le sens de la thèse de l'accident en ce qui concerne ce bateau. »
Il poursuivait : « Pour l'autre, ils ont été aperçus le mercredi matin, c'est-à-dire le lendemain 11 heures, par un ingénieur du barrage qui les a vus à la jumelle qui nous a fait une description précise. On lui a posé des questions précises auxquelles il n'aurait pas pu répondre s'il n'avait rien vu. Il a vu trois Européens qui débarquaient du matériel et il nous a décrit la façon dont l'un était habillé, ce qui correspond à ce que portait habituellement Philippe dans la journée. Il nous a dit avoir quitté le lieu d'observation 11 heures et être revenu à 14 heures et ne plus avoir rien vu à 14 heures. »
«Pour vous, les espoirs ne sont pas vains. Pour ce qui concerne Philippe et ceux qui étaient avec lui sur ce même bateau ? », lui demandait le journaliste. « Les espoirs ne sont pas vains parce que s'ils ont effectivement débarqué, ils doivent bien se trouver quelque part. On espère toujours qu'il va se passer quelque chose qui nous permettra de les retrouver. Mais enfin, plus le temps passe, plus l'inquiétude grandit. »
Noël Mamère concluait l'interview par une question plus personnelle : «pardonnez-moi cette question, mais beaucoup de téléspectateurs doivent se la poser en même temps que moi ce matin, vous devez vous considérer Jean-Hugues Amblard un peu comme un miraculé ?»
Sobrement, il répondait : «J'ai eu de la chance, oui. »
La thèse d'une bavure militaire
Le 19 août, l'envoyé spécial de France 2, Philippe Rochot était sur place, dans la région d'Inga, sur les lieux de la disparition. Il y avait été mené là par la gendarmerie locale, après plusieurs heures de pistes sans aucune liaison radio et 3 heures de marche dans la jungle.
Il recueillait un témoignage troublant, celui de Kayombo, commandant la gendarmerie d'Inga, qui l'informait que personne ne les avait prévenus de la présence de cette expédition dans la région. Un point important, car la région était alors sous tension. Dans ce reportage, Philippe Rochot était l'un des premiers à avancer l'hypothèse d'une bavure de l'armée due à la crainte d'infiltration de militants angolais, « l'armée est en état d'alerte dans cette zone sensible du barrage d'Inga qui est à proximité de la frontière angolaise, elle a reçu l'ordre de tirer à vue sur tout ce qui est suspect. Et puis en descendant sur le fleuve, nous apprenons avec stupéfaction que les gendarmes d'Inga n'étaient pas au courant du passage des deux radeaux transportant Philippe de Dieuleveult et ses compagnons, pas même leur chef. »
Le journaliste terminait son sujet au pied des chutes de Yellala où il soulignait l'endroit où les corps devaient « arriver et rester bloqués par les rochers, c'est là que généralement les pêcheurs retrouvent les victimes qui ont été tuées en amont sur le fleuve. Hélas, pour l'instant aucune découverte d'un corps qui pourrait expliquer les circonstances du drame… Où est la vérité ? On ne le saura sans doute jamais. »
La thèse de l'implication des services secrets
De fait, le mystère persista des années. Un rebondissement relança l'affaire, près de neuf ans plus tard. Un ancien officier zaïrois affirma que Philippe de Dieuleveult avait été exécuté par les services secrets du Zaïre. Jusqu'ici, la thèse de l'accident avait été tenue pour acquise.
Le 20 septembre 1994, le journal de 20h00 de France 2 diffusait le témoignage d'un ancien officier zaïrois, Okito Bene-Bene, auteur du livre Africa raft. Il affirmait que l'animateur de télévision n'était pas mort dans un accident sur le fleuve Zaïre, mais avait été exécuté par les services secrets zaïrois. À l'époque, cette zone du barrage d'Inga faisait l'objet de menaces de la part de l'Angola et la Lybie et selon lui, les militaires zaïrois auraient commis une méprise.
D'après Okito Bene-Bene qui se présentait alors comme un opposant à Mobutu, deux des aventuriers auvaient d'abord été exécutés, les autres, plus tard, pour dissimuler cette bavure, « une fois arrivés sur les lieux, c'est là que nous avons découverts que c'était une expédition qui avait été autorisée par Kinshasa mais l'autorisation n'a pas été répercutée jusqu'à chez nous. J'ai assisté à leur capture, il y a messieurs Hérault et Jeannelle qui sont morts pendant leur capture. Monsieur Blockmans est mort en prison suite à ses blessures car il n'a pas été soigné et les quatre autres ont été purement et simplement exécutés. »
À la suite de ce témoignage, Jeanne de Dieuleveult, la maman du présentateur disparu déclarait être heureuse que la vérité éclatait enfin : « car je crois sincèrement qu'ils ont été assassinés (…) parce qu'on a essayé de nous donner des tas de preuves de la noyade, mais qui ne tiennent pas. » Maître Lafon en charge du dossier lui reste cependant sceptique : « il m'étonne d'entendre de tels propos après le travail énorme auquel nous nous sommes livrés pour avoir une opinion définitive (…) nous nous sommes faits définitivement une opinion, il s'agit d'une noyade affreuse. »
Jean de Dieuleveult, le frère de Philippe se rangeait du côté de la thèse de Okito Bene-Bene et de sa mère. Il accusait, son frère était mort à la suite d'une bavure, les membres de l'expédition «Africa Raft» ont été pris pour des mercenaires et tués par des militaires zaïrois. Lui accusait à l'époque le gouvernement français d'avoir couvert l'assassinat.
La thèse de l'espionnage
Octobre 2008, nouveau rebondissement. Après le témoignage du frère du disparu qui indiquait, dès 1994, que l'animateur de La chasse au trésor travaillait également pour les services secrets français (DGSE), une journaliste prétendait dans l'archive ci-dessous que l'animateur n'était pas mort noyé, mais qu'il avait été exécuté par des membres de la division spéciale présidentielle de Mobutu.
Plus de 35 ans après, l'affaire reste mystérieuse et pourra être relancé par la nouvelle plainte déposée par un membre de la famille du présentateur disparu.