Le 18 juin 1965, le magazine de cinéma Panorama se rend sur la côte varoise où se tourne le dernier film de Jean-Luc Godard, intitulé Pierrot le fou. Jean-Paul Belmondo est interviewé juste après une scène où il a failli passer sous un train. Une scène très physique qui semble l'amuser beaucoup, "je sais que j'ai des bonnes jambes, je sais que je peux courir", plaisante-t-il.
Entre deux prises, l'acteur très décontracté admire la mer. Une manière pour lui de se détendre et de ne pas se laisser envahir par son personnage, il précise : "C'est un peu comme au théâtre, les acteurs sont à 7h00 dans leurs loges, qui pensent leur rôle et puis, il y en a ceux qui peuvent arriver à 9 heures mois cinq et puis être dans le coup tout de suite."
"Je crois qu'avec le cinéma, il faut beaucoup de spontanéité et avec Godard, il est très facile de faire cela"
Lui refuse cette image d'acteur torturé ou possédé par un rôle qu'il qualifie de "légende des acteurs devant complètement s'identifier à leur personnage", il plaisante, "par exemple, moi j'ai joué Léon Morin prêtre… mais je pourrais aussi bien jouer un gangster et puis demain si je joue un drogué ou un pédéraste, je ne pense pas que j'irais jusqu'à ce point-là pour être bien dans le rôle. Il faut de l'imagination, c'est mieux ! C'est un peu ça le métier d'acteur, il faut observer les gens et après arriver à faire ce qu'ils font [...] Des fois on dit, j'ai joué un fou et je suis devenu fou. Enfin pour moi, ce n'est pas du tout mon style. Je crois qu'avec le cinéma, il faut beaucoup de spontanéité et avec Godard, il est très facile de faire cela".
Belmondo, "il est aussi paresseux que moi"
Le journaliste confie ensuite au réalisateur que Belmondo adore jouer avec lui, et constate qu'il s'adapte bien alors qu'il change parfois le scénario la veille du tournage. Jean-Luc Godard s'en amuse, "oh ben, c'est parce qu'il est aussi paresseux que moi, ça fait moins de travail"! Ce qu'il apprécie chez son acteur qu'il connait peu : "c'est sa disponibilité, une certaine forme de gentillesse qui fait qu'il est toujours prêt à partir, à sauter, à jouer, à exister. C'est une grande qualité je trouve chez un acteur."
Aux côtés de Belmondo, Anna Karina qui adore travailler avec lui, elle explique pourquoi : "moi j'ai toujours le trac de toute façon mais avec Jean-Paul, il a une manière d'être qui est toujours naturelle. C'est vraiment le grand acteur et avec lui, je ne sais pas, ça se passe comme ça, très bien."
"Il a du charme, il a du talent, il n'est pas beau... mais il est pas mal !"
Le journaliste veut savoir ensuite pourquoi l'acteur plait tant aux femmes, "parce qu'il a du charme. Je crois que c'est ce qui est important. Il a du charme, il a du talent, il n'est pas beau, beau, s'esclaffe-t-elle, mais il est pas mal !".
De retour auprès de Jean-Paul Belmondo, le journaliste lui demande ce qu'il fait en dehors des tournages, "oh ben, j'ai ma famille, mes enfants et puis les copains et heureusement entre chaque film, j'ai quand même des vacances". Quant à sa femme, le journaliste veut en savoir plus, "elle est venue me rejoindre à Hong Kong, elle se partage un peu entre les enfants et moi", précise l'acteur.
"J'ai eu beaucoup de chance de rencontrer Chabrol ou Godard..."
Le journaliste l'interroge encore, "elle peut penser que vous êtes soumis aux plus grandes tentations puisque vous tournez avec les plus belles femmes du monde" ! Jean-Paul Belmondo confirme charmeur, "Ah oui, bien-sûr, mais elle, elle est très belle aussi. Pour moi, c'est elle la plus belle, alors elle n'a pas à s'en faire. Si elle ne me faisait pas de scènes ce serait inquiétant. Si elle n'était pas jalouse, c'est qu'elle ne m'aimerait pas. Il ajoute, "je dois dire que si elle était actrice et qu'elle tournait dans les bras de Charlton Heston ou de Marlon Brandon, je ferais des scènes aussi. Ça m'ennuierais mais je lui ferais confiance…" Son souhait alors, c'est que le cinéma et le bonheur familial durent le plus longtemps possible, "j'ai eu beaucoup de chances, j'ai joué très longtemps au théâtre et je ne m'attendais pas à devenir ce qu'on appelle une vedette et j'ai eu beaucoup de chance de rencontrer Chabrol ou Godard qui m'ont fait faire du cinéma et offert des premiers rôles".
Lorsque le journaliste lui demande d'explique son succès, il déclare que le phénomène Belmondo, c'est pour lui une question de "timing", "j'ai un physique qui est arrivé au moment voulu, si j'étais arrivé du temps des grands romantiques ou de Rudolph Valentino, je n'aurais certainement pas fait la carrière que je fais"...
"C'est un film sur la vie. La vie elle est noire et rose"
Voilà comment Jean-Luc Godard décrivait son film à sa sortie en 1965.
Jean Luc Godard, "Pierrot le fou"
1965 - 02:14 - vidéo
Un film reçu à l'époque "avec des mouvements "divers" comme l'expliquait alors le journaliste de l'émission De Soleil et d'azur.
Jean-Luc Godard revient avec lui sur l'origine du titre de son long métrage, "Pierrot le fou, c'est un surnom d'abord parce que le personnage principal que joue Belmondo s'appelle Ferdinand. Je l'ai appelé Ferdinand en souvenir de Louis-Ferdinand Céline car l'aventure de ce Ferdinand-là est une sorte de voyage au bout de la nuit. Et c'est la fille avec qui il est qui s'entête à l'appeler Pierrot, et du reste, ils font pas mal de folies, d'où le titre Pierrot le fou. C'est Pierrot et Colombine aussi. Pour moi, c'est un film sur la vie. La vie elle est noire et rose. Ça dépend comment on la regarde, si il y a du Soleil ou des nuages, en général il y a les deux ensemble. Il poursuit, C'est l'histoire de deux êtres qui vont vers le soleil mais ils doivent traverser beaucoup de nuages avant d'y arriver. C'est des gens qui essayent de vivre sans nuages mais il y a toujours beaucoup de nuages"...
En conclusion, le cinéaste déclare, "l'histoire est très simple. C'est un homme et une femme qui essayent d'aller vers le soleil, de vivre de façon très simple, un peu comme Robinson Crusoé, qui n'y arrivent pas et ils sont mêlés à une histoire de trafic d'armes... et ça fini assez mal."
Pour aller plus loin
Pierrot le fou au festival de Venise : interviews du réalisateur et d'Anna Karina (2 septembre 1965)
Le masque et la plume. L'écrivain et critique Jean-Louis Bory dit tout le bien qu'il pense du nouveau film de Jean-Luc Godard, "Pierrot le fou" qu'il considère comme un aboutissement de l'oeuvre du réalisateur franco-suisse. Il y voit "une méditation profondément visuelle" de la part de Jean-Luc Godard qu'il qualifie de "cinéma fait homme". (Audio, 7 novembre 1965)
Claude Chabrol et Henri Langlois à propos de la place de Jean-Luc Godard dans le cinéma français. (juin 1969)
La musique de pierrot le Fou. Rémo Forlani, critique de cinéma et Alain Duhamel, compositeur de la musique du film évoquent Jean-Luc Godard. (23 juin 1969)
Bouillon de culture. Jean Paul Belmondo évoque les débuts de sa carrière et l'accueil généralement mauvais qui fut réservé à Pierrot le fou et A bout de souffle. (18 décembre 1988)