L'artiste Invader est mis en valeur dans l'affiche de l'exposition. Et plus précisément PA_1336, une oeuvre de l'artiste visible dans le 11e arrondissement... Crédits : Capitale(s)
La galeriste parisienne Magda Danysz est co-commissaire avec Élise Herszkowicz, Nicolas Laugero Lasserre et Marko 93 de l'exposition «CAPITALE(S) - 60 ans d'art urbain à Paris». L'objectif de cet évènement inédit : mettre en lumière ce mouvement artistique qui s'impose dans les rues de Paris. À travers les créations de nombreux artistes et des œuvres de différentes collections, l’exposition dresse un panorama du mouvement et de l’importance de la scène parisienne. Il est question des précurseurs, dont Jacques Villeglé ou Ernest Pignon-Ernest, de l'époque du terrain de Stalingrad, de la lumière des années 90 aux nouvelles directions plus récentes en passant par les années 2000 où ce fut l'épanouissement. De nombreuses archives INA ont été utilisées. Magda Danysz nous explique pourquoi.
INA. - Que trouve-t-on dans les archives quand on cherche sur l'art urbain à Paris ?
Magda Danysz. - C'est de la spéléologie, et c'est passionnant. Le plus dur a été de se dire : qu'est-ce qu'on cherche ? Qu'est-ce qu'on veut raconter ? Car je suis d'abord partie d'images presque rêvées, d'images dont on se dit "je suis certaine de les avoir vues". Et par exemple, j'étais persuadée qu'il existait des images de l'exposition «Paris Graffiti» au Palais de Chaillot en 1991, car je me souvenais avoir vu un passant en colère en train de râler avec un commentateur pas beaucoup plus avenant envers le mouvement. Mais en fait, il y a très peu d'images de cette exposition... Qui pourtant a donc été un point de départ dans mes recherches parce qu'elle a été déterminante dans l'histoire et ce que je fais aujourd'hui. Et pour répondre à la recherche des images rêvées, on trouve toujours d'autres biais pour raconter l'histoire.
INA. - Dans les archives que vous utilisez dans l'exposition - plusieurs dizaines de minutes - il y a une prépondérance des années 80-90.
Magda Danysz. - C'est un biais en effet, et je retrouve le même dans les collections du fond d'art contemporain de la ville de Paris. Comme si à cette époque, il y avait eu un intérêt pour le mouvement. Mais après, encore une fois, les trouvailles se font aussi au gré des recherches et chercher les archives, c'est trouver le bon mot, c'est chercher à reconstruire la logique de la personne qui a indexé les images, c'est passionnant à faire.
INA. - Vous revenez beaucoup sur le jour où la station de métro Louvre-Rivoli a été recouverte de tags en 1991.
Magda Danysz. - Je cherchais ces images de façon très affirmée, je ne voulais pas éluder cet épisode dans l'exposition, comme pour celle au Palais de Chaillot. C'est un moment qui permet au mouvement de passer de l'ombre à la lumière. Ces deux épisodes, Chaillot et Louvre-Rivoli, c'est la même année. C'est d'un côté, on porte aux nues le mouvement, on le met au musée, de l'autre il y a une redécoration complète et sauvage de la plus belle station du réseau. Ces moments deviennent des moments de mémoire.
Tags à la station de métro Louvre Rivoli
1991 - 02:22 - vidéo
INA. - Comment se sont passées vos recherches ?
Magda Danysz. - J'ai derushé la nuit en faisant un premier tri. Puis j'ai passé la main à Elise Herszkowicz, co-commissaire de l'exposition avec Nicolas Laugero Lasserre et Marko93. Elle a travaillé pour essayer de ramener la chose en un montage, pour ramener de l'ordre car on a fait le choix de présenter beaucoup d'archives. On veut faire un cadeau aux visiteurs qui pourront ainsi découvrir un montage de près d'1h30, le film de ce qui s'est passé sous nos yeux.
INA. - On parle de street art ? D'art urbain ? De graffiti ?
Magda Danysz. - On a évacué le street art, on parle d'art urbain, et il n'y a pas que le graffiti. Il est aussi question de hip hop, comme avec l'archive de RUNDMC à Aubervilliers qui est dingue... On parle d'art urbain car on remonte au début des années 60 avec Jacques Villeglé, Ernest Pignon-Ernest, Gérard Zlotykamien qui sont les précurseurs à Paris. Puis il est question des années 70 avec Captain Fluo, Speedy Graphito, puis Jean Faucheur, Jérôme Mesnager et Miss Tic au début des années 80. Dans sa globalité, il est question d'art urbain.
INA. - Art urbain et hip hop sont-ils indissociables ?
Magda Danysz. - Il faut savoir que, par exemple, dans le terrain de Stalingrad, c'était le temple du hip hop. La réalité de l'époque, c'était la déferlante du hip hop. JoeyStarr avant d'être un musicien qui a performé, a été un graffeur. RUNDMC qui vient à Paris, ça montre à quel point la ville existait.
INA. - Que vouliez-vous montrer avec cette exposition ?
Magda Danysz. - À quel point Paris compte et ces archives le montrent, c'est le côté "vu à la télé". Très vite, très tôt, il y a tous les débats sur le vandalisme, sur les entrées au musée, et l'idée de montrer les ombres et lumières du mouvement
INA. - Le graffiti vandal est-il présent ?
Magda Danysz. - Très présent et c'est très important. On a toute une partie dédiée à cela. On en parle assez franchement car ça explique pourquoi le mouvement ne s'est pas éteint. Si on résume : il y a eu de la répression contre le mouvement, puis il y a eu une période plus "maquisarde", donc il a fallu inventer une autre forme et une autre génération est venue, un autre courant. C'est une pratique qui s'impose, on a le droit de ne pas aimer. Ça fait partie de l'histoire, ça peut déplaire. Mais du point de vue de l’historien, de notre point de vue, on constate.
INA. - Qu'est-ce que vous n'avez-vous pas trouvé dans les archives ?
Magda Danysz. - Outre l'exposition à Chaillot, c'est sur "Né dans la rue" à la Fondation Cartier en 2009 que je n'ai pas trouvé des vidéos à la hauteur de ce que j'espérais. À l'époque pourtant, il y avait un important débat sur ce que représentait le graffiti. Tout comme sur le terrain de Stalingrad, il y a peu de vidéos. Il y a des photos mais peu d'images. Le mythe est peut-être entretenu aussi par ce manque.
INA. - Comment analysez-vous le discours de la télévision sur l'art urbain ?
Magda Danysz. - Il est axé sur une pratique venue de banlieue, une pratique de vandale... Même si Jack Lang m'a convaincue de l'inverse, en me rappelant qu'il y avait eu l'émission "H.I.P. H.O.P." de Sidney en 1984. Et que cela ne s'est pas refait depuis. Donc au-delà de l'angle banlieue, il y avait aussi une approche musicale avec la danse.
INA. - Comment vous êtes-vous spécialisée dans ce courant ?
Cela fait 31 ans que je fais ça. Je voulais ouvrir une galerie avec d'autres artistes, car pour moi, c'est de l'art contemporain. J'y suis allée avec une bonne dose d'immaturité, et une forme de naïveté, en me disant que ce que je voyais dans la rue, sur les murs, dans les métros ou les tunnels, cela représentait quelque chose. Cela m'a piqué et au bout d'un moment, à force d'expliquer pourquoi je pouvais m'émerveiller et dire "mais regarde la technique, regarde la couleur, regarde la forme", je me suis lancée, le mouvement était là. J'ai été au premier rang au début et le spectacle a continué. À Paris, la scène est ininterrompue depuis 60 ans.
CAPITALE(S) - 60 ans d'art urbain à Paris
À l'Hôtel de Ville de Paris, 5 rue de Lobau, Paris 4e, du 15 octobre 2022 au 11 février 2023.
Entrée gratuite, sur réservation.
Du lundi au mercredi et le vendredi et samedi de 10 h à 18 h 30, le jeudi de 10 h à 21 h, fermé le dimanche.