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Pourquoi la France ne peut pas se retrouver sans budget : les exemples de 1962 et 1979

Pourquoi la France ne peut pas se retrouver sans budget : les exemples de 1962 et 1979

Après la chute du gouvernement Barnier, mercredi 4 décembre 2024, le Parlement s'éloigne un peu plus d'une adoption d'un budget pour 2025. Que prévoit la Constitution de la Ve République si le budget n'est pas voté ? Retour en archives sur la résolution des deux précédentes crises de 1962 et 1979.

Par Florence Dartois - Publié le 02.12.2024 - Mis à jour le 04.12.2024
 

Mercredi 4 décembre 2024, une motion de censure a fait tomber le gouvernement de Michel Barnier. Malgré le risque de censure, Michel Barnier avait eu recours au 49.3 pour faire passer le budget visant à faire des économies et à diminuer le déficit du pays. Le gouvernement prônait un effort budgétaire de 60 milliards d'euros.

La menace de censure agite le spectre d'un « shutdown » à l'américaine, avec l'impossibilité de payer les fonctionnaires, les retraites ou les dépenses de la Sécurité sociale.

Que risque la France si le budget n'était pas voté dans les temps ? Existe-t-il des solutions constitutionnelles pour éviter la banqueroute ? De telles situations se sont-elles déjà produites ? Et dans l'affirmative, comment les précédents gouvernements ont-ils traversé la crise ? Nos archives donnent quelques pistes de réflexion.

Les outils à la disposition de l'exécutif

L'adoption du budget est souvent une tâche ardue. Ainsi en 2023, Élisabeth Borne avait réussi à le faire adopter à grands renforts de 49.3. , un outil constitutionnel largement utilisé au cours de la Ve République et imaginé par Michel Debré, le père de la Constitution. Il a été conçu pour accélérer un débat, contourner un blocage de l’opposition, maîtriser une fronde au sein de la majorité ou, comme ce fut le cas pour le gouvernement Borne, dans le cas d’une majorité relative à l’Assemblée.

Ce qui change pour le budget 2025, c'est que la situation de Michel Barnier est différente de celle de sa prédécesseure, car le locataire de Matignon ne dispose d'aucune majorité, pas même relative. Ce qui rend périlleux l'usage du 49.3 et exacerbe le risque de censure et de démission du gouvernement. Pourtant, le projet de loi de finances (PLF) doit impérativement être publié au Journal officiel (JO) au plus tard le 31 décembre 2024. Pour éviter de se retrouver sans vote de budget, la Constitution prévoit plusieurs procédures d'urgence.

Trois procédures d'urgence possibles

La première procédure d’urgence régie par l'article 45 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) prévoit que le gouvernement peut, au plus tard, le 11 décembre 2024, demander au Parlement un vote séparé sur la première partie de la loi de finances 2025. Dans ce cas, le gouvernement pourrait demander au Parlement de se prononcer, dans un premier temps, sur la partie de la loi de finances qui concerne les recettes. Cela prendrait alors la forme d’un projet de loi partiel. La seconde partie, portant sur les dépenses, pouvant être adoptée ultérieurement, en janvier, voire en février.

La seconde procédure d’urgence est spécifique aux impôts, le « projet de loi spéciale », elle devra être déposée avant le 19 décembre par le gouvernement. Le texte autorise l’exécutif à continuer à percevoir les impôts, charge au Parlement de l'adopter. Ce qui ne devrait pas poser de problème puisque le RN s'est engagé à le voter, même en cas de censure.

Enfin, la troisième procédure jamais utilisée dans la Ve République est une mesure d'urgence. Elle donne au gouvernement la possibilité de faire adopter le projet de loi de finances par ordonnances, sans avoir recours à l’article 49.3. Il s'agit de l'article 47 : « Si le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance. »

Ces mécanismes prévus par la loi sont là pour éviter le blocage du pays et continuer à verser les salaires et les retraites, en préservant le bon fonctionnement des services publics.

La Constitution de la Ve République : un garde-fou à l'instabilité

On le sait, les concepteurs de la Constitution de 1958 avaient une préoccupation principale, celle de mettre un terme à l'instabilité gouvernementale qui était un fléau dans la IIIe et IVe République. Le texte de 1958 avait notamment pour objectif de faire adopter les budgets sans jamais mettre en péril l'équilibre des pouvoirs entre l'exécutif et le Parlement. Et même en cas de crise, il devait être possible de sortir de l'ornière grâce aux procédures d'urgences décrites plus haut.

Ainsi dans la crise qui oppose l'exécutif au Parlement, si le vote du budget n'est pas obtenu, le gouvernement pourra encore, au plus tard, le 19 décembre 2024, demander le vote d’une « loi de finances spéciale de perception des recettes » l’autorisant à continuer de percevoir les impôts existants de l'année en cours. Cette procédure d’urgence liée aux impôts, le « projet de loi spéciale », a connu deux précédents dans la Ve République, en 1962 et en 1979, dans des contextes bien différents comme le montre les archives.

1962 : un débat bouleversé par une dissolution

En 1962, le blocage du vote du budget était intervenu à la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale. La date des élections tombant les 18 et 25 novembre avaient rendu impossible l’adoption de la loi de finances pour 1963 dans les délais impartis, avant la fin de l’année 1962.

Il fut donc décidé de scinder en deux le vote du texte et d'avoir recours au vote du budget en deux temps dans le cadre du « projet de loi spéciale » dont nous avons décrit les grandes lignes. Le 22 décembre 1962, fut donc votée la première partie de la loi de finances, celles fixant les recettes. Les décrets de répartition des crédits et un décret d’avances furent votés ensuite. En effet, le reste du texte de loi, consacré à la partie « dépenses », débuta le 8 janvier 1963 à l'Assemblée. Les députés le votèrent en première lecture le 26 janvier, comme le relate l'archive radio disponible ci-dessous. Un extrait du journal parlé de France Inter de 19h15.

Jean Sainteny, ministre des Anciens Combattants interrogé par Pierre Ferjac s'exprimait positivement sur le contenu de ce budget dans son domaine de compétences : « Je suis très satisfait que la chambre ait voté ce qu'on lui avait proposé ». Il se félicitait pour la grosse majoration de ce budget, notamment en matière de pensions aux ascendants et de pécule alloué aux prisonniers de guerre de 14-18. Même s'il notait un retard dans la liquidation des pensions, il espérait que le retard serait rapidement rattrapé. 
 

Malgré les critiques de l'opposition, notamment de Gaston Defferre, député socialiste de Marseille, concernant le manque d'informations reçues et les délais raccourcis des débats, la seconde partie fut promulguée dans une autre loi, le 23 février 1963. À l'issue du vote, Georges Pompidou, le Premier ministre et le président de l'Assemblée nationale, Jacques Chaban-Delmas, remerciaient le travail des députés. Force est de constater qu'en 1962, passant outre leurs désaccords, les députés des différents camps avaient fait front commun pour voter le budget. Des propos à écouter dans les deux archives radio ci-dessous.

En session de clôture à l'Assemblée nationale, dans son discours, le Premier ministre Georges Pompidou revient sur la durée des travaux de la Commission mixte, le travail des membres de la à la Commission des finances et des lois de l'Assemblée, et les remercie pour leur vote du budget, « la tâche principale de l'Assemblée », réalisée ici dans des conditions exceptionnelles. Il exprime « sa reconnaissance » aux députés de la majorité, mais aussi de l'opposition pour la tenue des débats.
 

Après le discours à l'Assemblée nationale en séance de clôture de la session parlementaire du Premier ministre Georges Pompidou, le président de l'Assemblée nationale Jacques Chaban-Delmas répond au député de Marseille Gaston Defferre sur les conditions de travail difficiles de l'Assemblée nationale en période budgétaire à cause des délais imposés par la Constitution et donne des préconisations pour qu'à l'avenir « ce genre de circonstances exceptionnelles ne se reproduisent plus ».

Tout se terminait bien pour Georges Pompidou qui bénéficiait d'une toute nouvelle majorité et de la bonne volonté de l'opposition.

1979 : une fronde de la majorité et un vote annulé par le Conseil constitutionnel

En 1979, la crise était d'une autre teneur. Cette fois, le Premier ministre Raymond Barre avait dû faire face à une situation inédite : la fronde de sa propre majorité, portée par les néo-gaullistes du RPR, qui réclamaient des économies supplémentaires sur les dépenses et avaient refusé de voter l'article clé sur les recettes et qui fixait en outre le déficit à venir. Raymond Barre avait décidé de passer outre et de poursuivre la discussion budgétaire portant sur les dépenses, usant du 49.3. De fait, privé de sa propre majorité l'exécutif s'était enlisé dans un imbroglio constitutionnel que l'archive disponible en tête d'article décrit longuement. Il s'agit d'un sujet diffusé dans le journal télévisé d'Antenne 2 le 25 décembre 1979.

La veille de cette archive, le 24 décembre 1979, le Conseil constitutionnel avait censuré la loi de finance pour 1980. Les « 9 sages » avaient été saisis quelques jours plus tôt, le 20 décembre 1979, par le président de l'Assemblée nationale, Jacques Chaban-Delmas, et par 65 députés socialistes qui estimaient que la loi de finances pour 1980, qui venait d'être adoptée, n'était pas conforme à la Constitution.

L'ARCHIVE.

« Ainsi donc, nous vous l'annoncions dès hier soir, la France n'a plus de budget pour l'année à venir. Le Conseil constitutionnel a décidé que la loi de finances pour 1980 n'était pas conforme à la Constitution », expliquait le présentateur du JT Daniel Bilalian à la télévision de l'époque. Ce qui était reproché au gouvernement de Raymond Barre, c'était d'avoir examiné la deuxième partie du texte, celle sur les dépenses, avant l'achèvement de la première, celles des recettes. Une procédure gravée dans la Constitution. Grossière erreur. Le journaliste expliquait que c'était le point d'orgue de plusieurs mois de débat houleux, qui avait forcé le gouvernement à utiliser le fameux article 49.3. pour faire passer son projet en force.

Après être revenu sur les nombreuses attributions du Conseil constitutionnel et les prérogatives de ses neufs membres, élus pour 9 ans. En plateau, la journaliste politique Danièle Breem analysait les conditions de la saisine du Conseil constitutionnel sur la régularité du débat budgétaire. Elle expliquait que la réclamation portait sur deux points, vus précédemment : l'ordre des votes, mais aussi l'utilisation d'un unique 49.3 pour faire passer les amendements sur les recettes et les dépenses. Il en aurait fallu un pour chaque partie de la loi.

Résultat, le 24 décembre 1979, le Conseil constitutionnel invalidait la loi pour procédure non conforme à la Constitution.

Une Constitution pensée pour une majorité et de la concertation

L'archive disponible en tête d'article est aussi intéressante, car elle donne la parole au juriste Claude Labbé, président du groupe RPR à l'Assemblée générale. Il expliquait que la Constitution avait été pensée pour fonctionner en concertation avec un exécutif soutenu par une majorité forte. Un argument qui résonne particulièrement avec la situation en 2024, où l’Exécutif ne bénéficie d'aucune majorité, pas même partielle.

Voilà ce que déclarait alors Claude Labbé : « Cette constitution est naturellement faite pour un président de la République qui ne vit pas dans un régime présidentiel, mais dans un système tel que celui qui a été voulu par la Constitution de 1958, par un Premier ministre qui applique la concertation aussi poussée que possible avec sa majorité et qui éventuellement s'incline devant certains désirs de sa majorité. Car c'est ça la concertation. Autrement dit, cette Constitution n'est certainement pas faite pour un système de contestation généralisée entre le gouvernement et sa majorité. » Il est frappant de remarquer que dans ses propos, Claude Labbé évoquait la relation entre l'exécutif et sa majorité. Il n'est jamais question du poids de l'opposition. La Constitution n'avait pas été imaginée pour qu'un jour, un Gouvernement puisse être amené à faire voter son budget sans majorité du tout, sous la menace d'une censure.

À l'époque l'opposition ne jouait pas de rôle décisif dans l'hémicycle, et cette fois, la crise venait d'une trahison de la majorité. (Une trahison qui serait vivement critiquée au cours du débat par un opposant, en la personne de François Mitterrand). Claude Labbé, lui, revenait sur le choix assumé du RPR de ne pas soutenir le budget en réclamant plus d'austérité. Des propos qui éclairent sur l'importance du budget pour la bonne marche du pays : « Nous prenons nos responsabilités (...) Mais c'est vrai que ces économies ont une grande importance dans la mesure où elles agissent sur le déficit budgétaire, sur l'inflation, sur le coût de la vie de chacun. Autrement dit, ils interviennent en bout de ligne sur la vie quotidienne des Français. C'est pour cela que nous agissons et c'est uniquement pour cela ».

Michel Debré décrit les règles constitutionnelles en matière de budget

Comme souvent lorsqu'il était question de constitutionnalité, les médias se tournaient vers le père de la Constitution de 1958, Michel Debré. Dans le journal parlé de 13 heures de France Inter à écouter ci-dessous, on l'interrogeait sur la décision du Conseil constitutionnel. Il rappelait que cette constitution avait été écrite précisément pour mettre un terme à « la très grande anarchie » dans laquelle se déroulait les débats des budgets de la IVe République : « Les députés, les sénateurs, pendant des semaines et des mois, discutaient, les dépenses, augmentaient les dépenses et on en venait à traiter des recettes à la fin du débat, lorsque les dépenses avaient été votées, augmentées, multipliées. D'où une gestion financière qui était à proprement parler désastreuse. »

Michel Debré revenait notamment sur un point de la Constitution qui avait permis de sortir de la crise en 1962 : le choix de modifier l'ordre des votes : « Il a été entendu que désormais le Parlement devait d'abord, dans une première partie du budget, voter les recettes, puis voter les grandes catégories de dépenses et l'équilibre. En tout cas, le rapport entre les recettes et les dépenses. Et ce n'est que lorsque cette première partie est votée que les députés puis les sénateurs peuvent aborder le chapitre des dépenses. C'est donc une règle de sagesse financière. »

Un point sur lequel venait de déroger le gouvernement et que sanctionnait le Conseil Constitutionnel, « Lorsque au mois d'octobre dernier, les recettes n'ont pas été entièrement acceptées (...) la question s'est posée de passer à la deuxième partie, et je dois dire qu'au fond de moi-même, sans vouloir prendre parti publiquement, j'ai été très frappé de la décision qui a été prise et qu'il me paraissait inconstitutionnelle (....) Ce n'est pas une règle de procédure, c'est un principe, poursuivait-il, ajoutant que sa validation aurait été une brèche dans l'équilibre des pouvoirs entre gouvernements et Parlement, donc dans la Constitution. »

Un problème juridique et des solutions pour le résoudre

Michel Debré se montrait confiant dans les solutions juridiques proposées par la Constitution pour sortir de ce qu'il considérait comme un simple problème juridique. Il n’avait aucun doute sur le fait que le budget serait voté. Et de conclure : « Donc, il y a une chose certaine, c'est qu'avant le 31 décembre un acte doit intervenir qui, soit permettra de prélever les recettes pour toute l'année, ou en tout cas, une disposition permettant de reporter au mois de janvier la discussion sur le budget. En d'autres termes, il y a un problème juridique qui n'est pas très grave, mais qu'il faut régler en faisant très attention de respecter l'esprit d'une Constitution et d'une loi organique très exigeante sur les règles financières. »

Ce qu'allait faire le Gouvernement en déposant un projet de loi spéciale afin de pouvoir continuer à percevoir l'impôt.

Session extraordinaire et vote du budget 1980

Le 27 décembre 1980, les parlementaires se réunirent lors d'une session extraordinaire de l'Assemblée nationale pour l'examen de l'article 1 de la Loi de finances permettant au gouvernement Barre de percevoir les impôts et les taxes pour 1980. Malgré un débat houleux, le texte de loi fut voté. Le risque de banqueroute était écarté.

Vers une sortie de crise ?

Le recours à la procédure dissociée décrite dans l'article 45 a permis par deux fois de sortir de la crise et d'assurer un budget à l’État. Mais sera-t-elle fonctionnelle en 2024, sans l'aval des députés et avec la menace d'une censure en cas d'usage du 49.3. En effet, il n'est pas à exclure que le gouvernement, y compris en recourant à une loi spéciale de finances, doive user de l’article 49.3, de la Constitution pour obtenir l'aval des députés. Ce n'est qu'après avoir reçu l’autorisation de continuer à percevoir les impôts que le Premier ministre pourrait signer des décrets d'application des crédits votés.

Reste que le recours à cette loi spéciale de finances pourrait désamorcer la crise et permettre de reporter la date butoir au début de l'année 2025, tout en se donnant le temps de trouver des compromis. Un esprit de compromis, qui l'expliquait Claude Labbé plus haut, était l'un des éléments essentiels du bon fonctionnement de la Constitution et du vote du budget.

En cas de blocage, au-delà de 70 jours, il resterait l'usage des ordonnances de l'article 47 pour faire passer le budget. Ce serait inédit. Mais cet article 47, imaginé en cas d'enlisement des débats, n'a pas non plus été créé pour contourner un éventuel vote de rejet du projet de loi de finances par le Parlement ! Dans ce cas de figure, l'article 47 ne serait pas utilisable.

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