Dans son essai Apprendre à faire l’amour (Allary Editions), le philosophe Alexandre Lacroix s'interroge sur l'art d'aimer en 2022. En étudiant l'acte sexuel sous le prisme métaphysique et éthique, l'auteur tente d'élaborer une véritable philosophie charnelle de reconnexion au plaisir.
Le directeur de Philosophie Magazine est parti du constat d’un appauvrissement de la vie sexuelle, dû en partie à l’accès facile à ce qu'il appelle le « porno mainstream ». Mais cet accès ne garantit pas l’épanouissement sexuel bien au contraire. Ce carcan de la performance abouti selon lui à inhiber les hommes et à priver les femmes de leur plaisir. Dans un article paru dans le Figaro Madame du 12 juin, le philosophe précise d’ailleurs que ce mal-être se traduit par l’augmentation des consultations chez les sexologues d’une population de plus en plus jeune, avec une part importante de couples âgés de 25 à 35 ans.
L’auteur dénonce par ailleurs un conformisme et déconstruit cette vision de l’amour mécanique pour appeler à vivre la sexualité de manière plus esthétique. Il préconise de reprendre le temps de s'aimer et de se lancer dans une véritable quête du plaisir.
Un tract « scandaleux »
Le postulat d'Alexandre Decroix, tout comme le titre de son livre, n’est pas sans rappeler celui contenu dans un tract rédigé par un médecin généraliste, Jean Carpentier (1935-2014), et signé par le Comité d'action pour la libération de la sexualité en 1971. Cette année-là, comme il le raconte dans ce lien, deux lycéens avaient été surpris en train de s'embrasser par un enseignant. L'administration avait écrit à leurs parents leur demandant de les punir. Révoltés, les deux lycéens étaient venus voir Jean Carpentier. Ensemble, ils avaient écrit ce tract, une sorte de cours d’éducation sexuelle intitulé Apprenons à faire l'amour.
Le tract avait été distribué aux lycéens de Corbeil dans l'Essonne, puis le mouvement s’était étendu à d’autres lycées, faisant tâche d’huile. Outrés, de nombreuses familles allaient porter plainte pour outrage aux bonnes mœurs. En parallèle, un comité de soutien allait s’organiser composé de confrères, d’intellectuels comme Michel Foucault. Mais la sanction du Conseil national de l'ordre des médecins allait tomber : un an de suspension, symbolisant la chape de plomb qui régnait encore, trois ans après la révolution sexuelle de Mai 1968, sur la France.
A l’époque le docteur Carpentier avait souhaité accompagner les adolescents dans leur découverte de la sexualité en leur proposant une éducation sexuelle simple, inventive et libérée. Son objectif, il allait le raconter cinq ans plus tard dans le magazine « De quoi avons nous peur ? », au micro de Danièle Guilbert, réalisatrice d’une série documentaire sur les Français et l’amour. Elle l’avait rencontré chez lui. Dans son texte titré Apprenons à faire l’amour, le docteur Carpentier associait déjà la notion de plaisir et de bonheur à une sexualité heureuse et épanouie. Le sous-titre du texte était clair : « c’est le chemin du bonheur, c’est la plus merveilleuse façon de se parler et de se connaître ». Après avoir raconté la genèse de ce tract qui marquait le début de la remise en cause du tabou sexuel, il développait une conception sur la quête du plaisir et le comportement social.
Plaisir et soumission
Il estimait que si les gens étaient capables d’utiliser leur corps pour prendre du plaisir, pas seulement celui induit par leurs organes sexuels, mais par l’ensemble des sens à leur disposition, ils n’accepteraient plus de vivre dans la médiocrité ni d’être malmenés par la société (les cadences de travail, les conditions de transports…). Ce renoncement au plaisir, l’absence d’écoute des besoins et le manque d’épanouissement sexuel étaient selon lui les symptômes de l’asservissement. En 1971, les tabous sexuels étaient encore très puissants dans la société et il l’assurait, pour maîtriser les gens, il n’y avait rien de mieux que d’éteindre en eux toute velléité de quête du plaisir.
Dans ce pouvoir répressif, il englobait « les profs, les médecins, les curés, les flics, les éducateurs… », bref, tous les représentants de l’ordre dans la société. Ceux « qui sont là pour remettre des gens dans le circuit » insistait-il, ajoutant que pour qu’une société fonctionne, le plaisir devait être « canalisé » ou « réprimé ». C’est ce qu’il avait tenté de changer avec le tract et c’est pour cela qu’il réclamait encore une discussion collective, affirmant que le pouvoir était en réalité « en nous » mais que chacun de nous possédait en lui deux personnages ambivalents qui menaient une lutte permanente entre « le désir d’être libre » et le désir d’être intégré dans le système, « donc d’être réprimé ».
Apprenons à faire l’amour de Jean Carpentier et Apprendre à faire l’amour d’Alexandre Lacroix n’ont pas été écrits à la même époque, mais les deux textes tentent de faire prendre conscience de l’existence de verrous sociétaux et inconscients qui régissent la sexualité. En 1971, il s’agissait de faire sauter ceux imposés par la société moralisatrice. En 2022, il s’agit de se libérer du carcan performatif imposé. Mais là où les deux auteurs se rejoignent, c’est sans doute dans leur recherche commune d’un retour à une sexualité spontanée, épanouie et libératrice qui associerait désir et plaisir. La véritable quête du plaisir serait à leurs yeux le chemin de la reconnexion à soi-même… et donc aux autres.
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