L'ACTU.
L'historien Emmanuel Le Roy Ladurie, titulaire d'une chaire au Collège de France, est mort le 22 novembre 2023 à l'âge de 94 ans. Né en 1929 à Moutiers-en-Cinglais dans le Calvados, Emmanuel Le Roy Ladurie était le fils d'un ancien ministre du gouvernement de Vichy, Jacques Le Roy Ladurie. Par réaction, Emmanuel Le Roy Ladurie adhérera au Parti communiste en 1949 avant de le quitter en 1956 après la publication du rapport Khrouchtchev et l'annonce de l'intervention soviétique en Hongrie.
Après Normal Sup et l'agrégation d'histoire, il enseigna à la faculté de Montpellier, puis à l’École des Hautes Études. Il fut nommé au Collège de France en 1973 à la chaire d'histoire de civilisation moderne. Deux ans plus tard, il publiait Montaillou, village occitan de 1294 à 1324 qui relatait le quotidien, au XIVe siècle, d'un village de paysans montagnards imprégnés de foi cathare. Cet ouvrage ethno-historique allait connaître un immense succès avec plus de deux millions d'exemplaires vendus.
Emmanuel Le Roy Ladurie a aussi beaucoup travaillé sur une thématique peu étudiée dans les années 60, celle du climat, avec son Histoire du climat depuis l'an mil parue en 1967. Un sujet qui continuera de le passionner jusqu'à la fin de sa carrière. En 2006, il sortait une Histoire humaine et comparée du climat, de 1740 à 1860 chez Fayard. À cette occasion, il était reçu dans l'édition nationale du 12-13 de F3. C'est cette archive que nous partageons en tête d'article.
L'ARCHIVE.
Le 23 septembre 2006, Francis Letellier s'entretenait avec l'historien sur l’impact possible du climat sur la conduite de la politique d'une nation. À partir de ses recherches sur le climat du passé, Emmanuel Le Roy Ladurie avait mis en lumière un impact indirect de la météo sur la politique. Il expliquait qu'il existait de nombreuses sources exploitables, car autrefois, on consignait et on observait le climat et les variations climatiques « pour expliquer les mauvaises récoltes ». En étudiant ces sources, il avait remarqué qu'au XVIIIe et XIXe siècles, le climat avait une influence directe sur la vie des gens, que c'était même « une question de vie ou de mort ». L'historien en avait conclu que l'impact du climat était beaucoup plus large que le simple bien-être du peuple et qu'il pouvait même influencer le cours de l'histoire d'un pays.
Selon ses observations, cela avait été le cas pour la Révolution française qui avait été précédée d'un printemps sec et d'un été orageux, suivis d'un hiver très froid. Les mauvaises récoltes avaient fait augmenter le prix du blé de 30% et avaient provoqué « des émeutes de subsistance » qui s'étaient étendues de septembre 1788 à juillet 1789. « Le 14 juillet est précédé, le 13 juillet, par des émeutes de subsistance », soulignait-il. Selon lui, le mauvais climat avait été « un coup de pouce qui a aidé à l'accouchement de la Révolution ». Il citait ensuite l'exemple de la Révolution de 1830, certes politique, mais envenimée par « cinq années de pluies excessives ». Mais aussi, « et surtout », celle de 1848. Cette dernière révolution avait été déclenchée par une grave canicule, « plus forte que celle de 2003 », qui avait fait baisser les récoltes de 30 %. Une diminution qui pouvait paraître anodine, mais qui avait été « suffisante pour jeter les gens dans la rue ».
Les deux hommes abordaient ensuite les conséquences de l'évolution du climat pour l'avenir. Le journaliste demandait à Emmanuel Le Roy Ladurie s'il fallait s'alarmer des dérèglements climatiques pour le futur ? L'historien n'écartait pas cette possibilité, et répondait que oui, avec un contexte encore plus tendu qu'autrefois. Dans le passé, toutes ces révolutions avaient été suivies par des périodes d’essor et d'optimisme, « Aujourd'hui, je trouve qu'on ne peut pas être très optimiste », concluait-il.
Au journaliste qui assurait qu'aujourd'hui, « on ne descendrait plus dans la rue à cause d'une canicule », l'historien répondait avec une pointe d'ironie « Ben, attendez... ». Avec un ton plus grave, il poursuivait : « Pour le moment, non, mais si cela devait avoir un impact sur l'aspect économique, il pourrait y avoir des troubles politiques, d'autant plus, ajoutait-il, qu'il n'y n'avait pas de remèdes à ce réchauffement progressif ».
Le grand entretien accordé par Emmanuel Le Roy Ladurie à l'INA
Pour aller plus loin :
«Y'a plus d'saisons» : Interview de l'historien sur l'évolution du climat qui n'a pas beaucoup changé depuis l'époque des Gaulois, mais qui a beaucoup évolué depuis l'homme de Cromagnon. (01/1989)
JT Soir Montpellier : sortie du troisième tome de sa trilogie sur l'histoire du climat. (05/2009)
Radio filmée : Christophe Bourseiller reçoit l'historien Emmanuel Le Roy Ladurie à l'occasion de la parution, chez Fayard, de son livre Les fluctuations du climat de l'an mil à aujourd'hui. (10/2011)
Les choix de France Info : Emmanuel Le Roy Ladurie : nos ancêtres face à l'hiver (02/2012)