« On ne peut pas jouer avec les alliances comme ça. On ne traite pas avec une telle brutalité et une telle imprévisibilité le partenaire majeur qu'est la France. » Invité du 20h France 2, samedi 18 septembre, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a fait part de sa colère et de sa profonde déception vis-à-vis de l’attitude des Etats-Unis et de l’Australie, après que Canberra a annoncé mercredi 15 septembre l’annulation du « contrat du siècle », 12 sous-marins commandés en 2016 par l’Australie à la France.
Choix géopolitique
A la place de la technologie française, ce sont des sous-marins nucléaires américains qui seront achetés. Pour justifier ce revirement, qui, selon le Premier ministre australien Scott Morrison, n’est pas un « changement d’avis, mais un changement de besoin », l’Australie fait valoir les tensions grandissantes avec la Chine. Un choix géopolitique, et non industriel, qui se concrétise par une nouvelle alliance, l’Ankus, menée par les Etats-Unis, avec l'Australie et le Royaume-Uni de Boris Johnson.
Signe de la gravité de la crise aux yeux de Paris, les ambassadeurs français à Canberra et à Washington ont été rappelés pour consultation, vendredi 17 septembre, une première pour ces deux pays alliés de longue date. Samedi 18 septembre, l'ambassadeur de France en Australie, Jean-Pierre Thébault, dénonçait sur la radio publique australienne SBS le « coup de poignard dans le dos que nous avons reçu ».
Fierté française
La désillusion française est à l’image de l’enthousiasme qu’avait suscité en 2016 l’annonce de ce « contrat du siècle ». Le 26 avril 2016, le journal télévisé de France 3 reprenait un extrait du discours du président François Hollande, qui, brandissant une maquette de sous-marin, se réjouissait de ce « symbole de la France qui gagne » : « Dans le contexte que nous connaissons, nous devons à chaque fois nous poser cette même question, est-ce que nous pouvons être les meilleurs ? Dans beaucoup de domaines nous pouvons démontrer que nous sommes les meilleurs. »
Le commentaire du journaliste énonçait alors un « contrat record évalué à 34 milliards d’euros, avec à la clé des milliers d’emplois dans les deux pays : un succès pour la DCNS et pour le savoir-faire français ». L’entreprise basée à Cherbourg et héritière des chantiers navals fondés par Richelieu, devenue Naval Group en 2017, avait réussi à surclasser la concurrence des Allemands de ThyssenKrupp Marine Systems et des Japonais de Mitsubishi-Kawasaki.
Adaptés pour l'Australie
Les douze sous-marins vendus par la France appartenaient à la nouvelle classe à propulsion nucléaire Barracuda, transformés pour les besoins de l’Australie en propulsion diesel et électrique. A l’époque, Canberra ne souhaitait pas acquérir la technologie de la propulsion par l’atome pour éviter la prolifération nucléaire dans la région indo-pacifique. De plus, la France, dans le respect de la lettre du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires signé en 1970, ne proposait pas sa technologie nucléaire à la vente à l'étranger.
Le contrat prévoyait des transferts de technologie français à l’Australie, et une construction majoritairement dans l'île-continent, ainsi que l’expliquait le Premier ministre australien Malcom Turnbull en 2016 à Adelaïde : « Nous aurons les technologies et les compétences, les emplois pour nos enfants et petits enfants, pour les décennies à venir. »
Excellence technique
Pour Hervé Guillou , PDG de DNCS, cette vente représentait « la démonstration de notre excellence technique, reconnue par le Premier ministre australien dans son discours […], qui a insisté sur le fait que nous avions offert la meilleure capacité opérationnelle ».
Les salariés de la DCNS soulagés par la vente des sous marins
2016 - 02:08 - vidéo
A Cherbourg, principal site de l’entreprise, mais également à Lorient ou encore à Indret-Ruelle, dans la région nantaise, les salariés de DNCS exprimaient leur soulagement devant ce contrat record et disaient envisager leur futur avec sérénité.
La rupture de ce méga contrat est un coup dur pour le groupe et ses salariés, et sonne plus généralement comme un désaveu pour la diplomatie française et pour son rang dans cette région stratégique de l'Indo-Pacifique.
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