Le président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé, mercredi 2 mars, la mise en place d’«plan de résilience économique et social» confié à Jean Castex pour contrer les conséquences du conflit en Ukraine et « apporter des réponses adaptées aux perturbations des flux commerciaux et de la montée des prix ». Le premier ministre devait présenter les mesures spécifiques pour les entreprises et les filières les plus touchées.
Ce concept de « résilience » est désormais utilisé lorsqu'il s'agit de traverser une crise, que ce soit pour un pays, une entreprise ou tout autre acteur confronté à une épreuve. Mais qu'entendait réellement le vulgarisateur de ce concept psychiatrique, Boris Cyrulnik, lorsqu'il le théorisa dans les années 1990. C'est ce qu'il explique dans l'archive en tête d'article.
En 1999, reçu dans l’émission « On s'occupe de vous » à l'occasion de la sortie de son essai Un merveilleux malheur, il en donnait la définition, partant du principe que chaque traumatisme laisse une trace traumatique dans l'organisme et l'illustrait d'exemples concrets qu'il avait pu observer.
À l’origine la résilience s’applique à la physique : c’est la résistance d’un matériau aux chocs. Au sens figuré, elle est devenue la force morale de quelqu'un qui ne se décourage pas et parvient à rebondir, à se développer malgré l'adversité. Se basant sur cette observation, il déclarait : « C'est un mot français qui veut dire qu'un organisme tient le coup. Malgré les pressions du milieu et malgré les coups du sort, il reste stable et peut même rebondir. Il peut même reprendre vie et reprendre son cours évolutif. Pour ça, il faut quand même qu'il y ait des les éléments, un petit peu d'aide. »
Dépasser le traumatisme
Mais pour le neuropsychiatre, la résilience concernait avant tout les victimes de traumatismes, souvent des enfants, et leur capacité à continuer à se développer après une fracture psychologique, mais différemment de ce qu'ils auraient fait sans l'avoir vécue. Boris Cyrulnik connaissait bien cette question, puisqu'enfant, il avait vu sa famille déportée et périr dans les camps de concentration, échappant lui-même deux fois à la mort. Cette « résilience », il l'avait expérimentée dans sa tête et dans sa chair.
Il s'insurgeait donc contre le « misérabilisme psy » qui prétendait que l'on ne pouvait pas se remettre d'un traumatisme, aussi grave fut-il : « Quand il y a une blessure dans l'enfance, ça reste dans la personnalité. Ça ne veut pas dire du tout que le reste de la vie est terminé. On peut vivre après une blessure. On est contraint de garder sa mémoire, mais on peut aménager le reste de sa personnalité et devenir humain quand même. », déclarait-il.
Il expliquait que 50% de la population connaissait un tel traumatisme une fois dans sa vie et que beaucoup de populations d'enfants maltraités, de victimes de guerre, d'enfants déportés étaient parvenus à vieillir et à réussir leur vie.
Ses observations personnelles lui avaient montré que plus les enfants étaient équilibrés avant le trauma, mieux ils rebondissaient après. Il prenait l'exemple des enfants du Kosovo qui pourraient se remettre à vivre à condition qu'on les aide et qu'on les écoute. Ce qui n'avait pas été le cas, selon lui, des rescapés du génocide au Rwanda. « Les petits Rwandais, on les a fait taire en leur demandant des preuves du massacre qu'ils avaient vu. Comment voulez-vous qu'ils fournissent des preuves ? », s'insurgeait-il.
S'exprimer malgré tout
Pour entrer en résilience, il fallait donc pouvoir s'exprimer et être écouté : « Ce qu'il faut, c'est ne pas considérer ces enfants comme des victimes. Il faut les considérer comme des êtres humains blessés, mais pas foutus pour leur vie. Et il ne faut pas les forcer à l'aveu. ». Il ajoutait : « C'est le système totalitaire qui oblige à l'aveu. Il faut se mettre à leur disposition s'ils veulent parler, on les écoute. S'ils ne veulent pas le dire, ils ont un autre moyen de s'exprimer. Le dessin, le théâtre, le militantisme, l'humour. »
L'humour était pour le chercheur l'arme ultime de la résilience, un outil qu'il avait vu à l'oeuvre notamment dans les orphelinats roumains : « Ces enfants passaient leur temps à inventer des chansons, à écrire des poésies alors qu'ils n'étaient pas scolarisés. Et on passait notre temps à des pièces de théâtre, des petites saynètes qui étaient souvent drôles, tout le temps. L'humour est un mécanisme de défense. »
Il concluait par les ingrédients d'une résilience : « L'intellectualisation, la créativité, l'humour, personne n'y échappe. C'est les mécanismes de défense que tout le monde connaît. »