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Le redoublement, entre traumatisme et seconde chance

Le redoublement, entre traumatisme et seconde chance

Le ministre de l’Éducation Gabriel Attal a présenté le 5 décembre une série de mesures sur l’enseignement dont celle de revenir sur « le tabou du redoublement ». Un thème qui fait débat depuis des décennies.

Par Florence Dartois - Publié le 05.12.2023
Interview d'élèves redoublants - 1988 - 06:02 - vidéo
 

L'ACTU.

Quelques heures après la diffusion des résultats de l’enquête Pisa organisée tous les trois ans par l'OCDE qui souligne un déclin marqué des résultats des collégiens français en mathématiques, Gabriel Attal a annoncé une série de mesures en matière d’enseignement. Groupes de niveau, réforme du brevet, entrée de l’IA au lycée… Parmi ces mesures, le ministre de l’Éducation nationale a précisé vouloir revenir sur le redoublement aujourd'hui exceptionnel. Le ministre a précisé qu'au premier trimestre de l'année 2024 serait publié un décret qui rendra le dernier mot à l'équipe pédagogique, et non plus aux familles, comme c’était le cas depuis 2014 et la réforme Belkacem.

Lors de sa présentation, Gabriel Attal a déclaré vouloir trancher le débat : « Je veux lutter contre l’échec forcé » d’élèves qu’on décide de faire passer en classe supérieure. Le redoublement anime en effet les discussions depuis des décennies et il est décrié dans le milieu scolaire, tant chez les enseignants que les chefs d’établissement. Beaucoup pensent que le redoublement n’est pas la panacée pour lutter contre l’échec ou le décrochage scolaire. Ses effets positifs seraient très limités dans le temps. Le redoublement est souvent ressenti comme un coup dur pour l'enfant concerné en perte d’estime de soi. Tous ces arguments et revirements sont fréquemment décrits dans les archives.

Le redoublement divise depuis longtemps. En 1974, le ministre de l’Éducation, Joseph Fontanet, remettait déjà en cause son efficacité : « La plupart du temps, c'est une fausse solution parce qu'elle accumule les retards scolaires sans apporter des avantages durables aux jeunes. Ce que parfois le redoublement peut leur apporter sera obtenu dans de meilleures conditions grâce à un soutien qui leur évitera de perdre une année. »

À l’époque, pour diminuer le redoublement, il entreprenait une réforme du secondaire sur plusieurs axes concernant la formation des enseignants, le soutien des professeurs aux élèves en difficulté. Le soutien, c'est justement ce qu'envisage à nouveau Gabriel Attal en proposant que les professeurs prescrivent à certains élèves « des stages de réussite durant les vacances, qui seraient une condition pour passer dans la classe supérieure ».

L'ARCHIVE.

« Une année de perdue ou une nouvelle chance » ? La question de l'intérêt du redoublement apparaît en filigrane dans de nombreuses archives, mais la réponse est multiple. L'archive présentée en tête d'article illustre bien l'absence de consensus, en premier lieu chez les élèves. En 1988, un sujet donnait la parole à ceux qui venaient de redoubler. Dans cette enquête du magazine de FR3 Lille « Mais qu'est-ce qu'ils font à l'école  ? », des collégiens décrivaient l'impact de leur redoublement. L'ambiguïté qui entoure la pratique est frappante.

Certains, comme le premier jeune homme interrogé, le prenait avec humour : « J’ai fait deux secondes, deux premières… si ça continue la terminale, je la ferai deux fois aussi ! ». Pour d'autres, l’annonce du redoublement en bas du bulletin, ça avait été « le gros choc », une « peur ». D'autres n'y voyaient aucun intérêt : « Ma seconde deuxième, j’ai moins travaillé que ma première seconde… ça ne m’a servi à rien, j’ai pris ça comme étant une sanction ». Mais quelques élèves en avaient tiré une meilleure estime de soi : « Je l’ai ressenti comme quelque chose de très positif parce que j’ai pris confiance en moi et puis, ce n’est pas le bagne de redoubler. Au début, c’est triste parce qu’on se dit : "j’ai raté quelque chose" et puis, après, non, on apprend plus »…

Des enseignants partagés

Si les élèves étaient mitigés, côté Éducation nationale, le redoublement suscitait des questionnements. Pour une proviseure interrogée dans cette même archive, la réussite de la mesure reposait sur l'élève et son acceptation. Chez certains enseignants, le doute s'exprimait aussi, comme chez cette professeure, très critique : « Ce n’est pas certain que de recommencer exactement la même chose l’année qui suit soit immédiatement bénéfique et je serai peut-être favorable au forcing pour le passage dans la classe supérieure, en assumant les risques, c’est-à-dire le décrochage encore plus complet de l’élève ».

Le redoublement se décidait lors du conseil de classe de fin d'année, étape clé où les professeurs, le principal, mais aussi les représentants de parents et d'élèves décidaient de l'avenir de l'élève. Ce temps fort de la scolarité, notamment à la fin de la troisième et de la seconde, était régulièrement évoqué dans les JT, ainsi que son corollaire : le malaise autour du redoublement. En juin 1982, le magazine de TF1 « C’est à vous » obtenait l'autorisation d'assister à cette « grand-messe » éducative. Les caméras avaient pu filmer les délibérations. À l’issue d’une cession, la directrice du Centre d’Information et d’Orientation reconnaissait que le redoublement n’était pas toujours positif pour l’élève, tout en restant plus qu'évasive dans ses estimations : « Dans 50% des cas, il est profitable et dans 50% des cas, il ne l’est pas ». La question était loin d'être tranchée.

Le redoublement scolaire : mode d'emploi
1982 - 03:38 - vidéo

Des parents indécis

Le période des conseils de classe avec la « menace » du redoublement était difficile à vivre pour les élèves, mais aussi pour leurs parents et les archives soulignent bien leur ambivalence. Dans les années 80, seule l'équipe pédagogique était décisionnaire du redoublement, mais des recours existaient. Le sujet ci-dessous de juin 1985, diffusé dans le 20 heures d’Antenne 2 détaille les recours possibles en cas de désaccord parental.

Les parents avaient huit jours pour contester la décision et demander une réévaluation. Une commission d'appel pouvait alors réexaminer le dossier de l’élève. Une autre solution était la vérification des connaissances de l'élève par un examen anonyme. Ces démarches aboutissaient positivement dans 20% des cas.

Si le redoublement était majoritairement perçu comme un échec par les parents, certains le réclamaient, le considérant comme une deuxième chance de poursuivre un cursus ou comme un passeport pour une scolarité réussie et une orientation choisie. L'archive ci-dessous, diffusée dans le JT de 20 heures du 4 juin 1985, donnait la parole à ces parents et à leurs enfants. Chacun livrant ses motivations et son ressenti sur ce choix cornélien.

Témoignages d'élèves ayant redoublé
1985 - 01:55 - vidéo

Des revirements politiques

La loi du 10 juillet 1989 a interdit le multiple redoublement pour un élève dans le premier degré. En 1985, 66% des élèves en terminale avaient redoublé au moins une fois dans leur scolarité. Aux interrogations du corps professoral et des parents, s'ajoutèrent les revirements politiques comme l'illustrent les archives ci-dessous. En 2010, il fut question de « bannir » définitivement le redoublement. Le nombre des redoublements étaient alors déjà en baisse, mais les autorités souhaitaient le stopper pour des raisons d'efficacité, mais aussi pour des raisons économiques comme l'explique ce sujet ci-dessous.

Un redoublant coûtait alors 6 000 euros à la collectivité : « ça coûte cher, donc on a tout intérêt à le faire passer », c’est ce qu’expliquait une professeure de lettres. Le redoublement coûtait 2 milliards par an à l’État soit l’équivalent de 25 000 postes de professeurs.

Vers la fin du redoublement ?
2010 - 03:03 - vidéo

Fallait-il supprimer le redoublement ? Certains établissements commençaient à l'abandonner, des professeurs et proviseurs dressant un constat d’échec du redoublement. En 2012 François Hollande fraîchement élu était pour. Les enseignants et parents d'élèves étaient plus nuancés.

En 2014, 4% des élèves étaient concernés par le redoublement (c’était 25% en 1997). Najat Vallaud Belkacem, la nouvelle ministre de l’Éducation (2014 à 2017) annonçait en novembre 2014 un plan contre le décrochage et sa volonté d'en finir avec le redoublement, une pratique onéreuse et qui, selon certains sociologues, n'est pas sans conséquences sur la confiance des élèves et sur leur future intégration dans le monde du travail.

Sur application du « décret Belkacem , il fut décidé que le redoublement deviendrait « exceptionnel » et que le « dernier mot » reviendrait aux parents. Cette mesure était une révolution pour le corps professoral qui devenait « conseilleur » et plus « décideur ».

Redoublement : le dernier mot aux parents
2014 - 02:40 - vidéo

En 2017, le nouveau gouvernement faisait machine arrière, replaçant le redoublement au centre d'une polémique. La décision de l'ancienne ministre de l’Éducation Najat Vallaud Belkacem de rendre le redoublement exceptionnel et sur demande des parents était jugée « absurde » par le nouveau ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer. Le redoublement devait redevenir un choix des professeurs. Un revirement décrit dans l'archive ci-dessous diffusée le 29 novembre 2017 dans le « 12-13 » édition nationale de France 3.

Réforme du redoublement
2017 - 01:58 - vidéo

En matière de redoublement, avec sa déclaration du 5 décembre 2023, Gabriel Attal entérine la décision de rendre le « dernier mot » aux professeurs. S'il revient ainsi sur le décret ministériel de 2014, il ne remet pas en cause la diminution du nombre de redoublements déjà effective. Selon l'enquête repères et références statistiques de l’Éducation nationale, le taux de redoublement en CP pour l’année 2018 est de 1,9 % dans les écoles publiques, (contre 3,4 % en 2011). Cette diminution est similaire dans les différentes classes du cours élémentaire, le taux le plus bas étant de 0,4 % pour les classes de CM1 et de CM2.

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